jeudi 17 mai 2012

Ce que j'attends du nouveau Garde des Sceaux

La nomination d'un nouveau ministre de la justice est, pour la communauté judiciaire, source d'espoirs et d'inquiétudes. Plus que toute autre profession, notre activité est réglée par les Lois. La politique que le garde des Sceaux mettra en oeuvre aura nécessairement un impact sur nos pratiques et nos contraintes. Aussi est-il permis, sans aucune légitimité particulière, d'exprimer des souhaits et des attentes.

Ma première et principal attente, c'est de la quiétude et du temps. Non que je sois opposé aux réformes, bien au contraire. Mais il faut cesser de légiférer à toute allure, sans se donner le temps de peser les conséquences des lois nouvelles, sans même se donner le temps de les appliquer convenablement. 
Je vais prendre un exemple concret. Une loi récente, votée en mars 2011, a prévu une sanction nouvelle pour les faits de conduite sans permis et de conduite sous l'empire de l'état alcoolique (dans ce dernier cas, en récidive légale) : la confiscation de plein droit du véhicule de l'auteur des faits. Cela part d'une intention louable : celui qui n'a pas le permis ne devrait pas, en toute logique, avoir de véhicule. S'il en a un et qu'en outre, il conduit, il est pertinent de lui confisquer ce véhicule. Et puis après tout peu importe que ce soit une bonne idée ou pas : c'est le législateur qui l'a décidé, c'est donc une décision légitime.
Pour autant, derrière cette décision, il y a des conséquences lourdes qui demandaient un peu d'adaptation de la part des services de police et de la justice. Que fait-on des véhicules qui sont saisis (provisoirement) avant d'être confisqués (à l'audience). Qui paye ? Que fait-on des véhicules que personne ne vient chercher ? Il aurait été judicieux qu'on se donne un peu de temps pour préparer des outils informatiques pour gérer tout cela, des conventions avec les garagistes, les circulaires d'applications... Ce temps aurait d'ailleurs pu être utilement mis à profit pour une meilleure communication du gouvernement sur cette peine nouvelle, dont l'effet dissuasif est contrebalancé par l'absence d'information du public à ce sujet.

Mon souhait le plus profond, c'est que le ministre engage une véritable réflexion collective, associant tant la communauté judiciaire que la classe politique, sur les missions et les rôles que la société française entend donner à l'autorité judiciaire. Quels litiges doivent être soumis au juge ? Quels juges ? Quelle est la mission qu'on veut donner au ministère public ? Il faut parvenir à un consensus sur ces questions, afin de pouvoir engager, dans un second temps, des réformes éventuelles de procédure pénale et civile mais aussi adapter les moyens et le budget de l'institution aux missions qu'on lui donne. 
Je pourrai ici prendre l'exemple du statut du parquet mais prenons plutôt un exemple tiré du droit civil, la question du divorce par consentement mutuel. Un temps, le gouvernement a eu pour projet de confier aux notaires le divorce par consentement mutuel. Selon les moutures du projet, tout ou partie de ces divorces auraient été confiés à un notaire et non plus à un juge. Ce projet, à vrai dire, ne procédait pas d'une vision nouvelle du rôle du juge, du rôle du notaire, de la liberté matrimoniale mais simplement de l'esprit d'économie : s'agissant de dossiers qui ne posaient pas de problème (croyait-on), pourquoi en faire supporter le coût par l'institution judiciaire ? Le projet a finalement été retiré, à mon sens aussi pour des raisons économiques : le barreau, qui tire de ces divorces quelques revenus, y était hostile.
Personnellement, je n'ai pas de religion à ce sujet, sinon que l'économie aurait été minime et qu'on pouvait sans doute alléger la procédure dans bien des cas tout en conservant un contrôle judiciaire. Mais j'aurai préféré qu'on réfléchisse à ces questions dans un second temps, comme une conséquence de choix sociaux importants sur le rôle et l'office du juge dans notre société et dans la régulation des rapports sociaux et humains.

Cette question se pose avec une particulière acuité depuis plusieurs dizaines d'années à la société française. Il serait temps qu'elle entre dans le temps des réponses.

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