dimanche 26 août 2012

La méthode norvégienne

La rentrée est l'occasion de reprendre ce blog, en jachère pendant l'été. Il me semble que la condamnation d'Anders Breivik par la justice norvégienne est particulièrement intéressante. Alors qu'il est responsable de plusieurs dizaines de morts (8 dans un attentat à la bombe à Oslo, 69 à Utoya) et de nombreux blessés, il a été condamné à une peine somme toute modeste, de 21 ans de prison.

Modeste selon nos critères français. Je ne pense pas m'avancer beaucoup en considérant qu'Anders Breivik aurait été infailliblement, en France, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité - à supposer, ce qui me paraît aussi assez probable - qu'il ait été déclaré psychiatriquement responsable. La justice norvégienne s'est contentée d'une peine de 21 ans pour une raison simple : il s'agit là de la peine maximale encourue.

Il y a toutefois une différence importante entre nos systèmes judiciaires : si, dans 21 ans, Anders Breivik est toujours détenu, la justice pourra ordonner son maintien en détention, de cinq années en cinq années, s'il est toujours considéré comme dangereux. En France, jusqu'à la création de rétention de sûreté, une telle mesure n'existait pas.

Il y a dans la décision de limiter la peine maximale encourue à un terme plutôt modéré une certaine sagesse. La justice est là pour fixer la gravité du crime, selon une échelle qui est nécessairement relative. Il n'y a pas grand sens à fulminer des peines excessives contre le criminel potentiel. La peine a évidemment une fonction dissuasive mais il n'est pas utile de porter la dissuasion au delà du concevable. Je ne pense pas qu'il y ait des gens qui arbitrent en leur for intérieur que commettre tel crime "vaut" de passer 14 ans en prison mais pas 21. Passé un certain délai, généralement évalué autour d'une quinzaine d'années (cela doit varier selon l'âge), on bascule dans l'inévaluable. Limiter les peines de prison à 20 ou 25 ans me paraît donc tout à fait raisonnable.

Il faut alors étudier séparément une question importante qui, à mon sens, doit être soigneusement distinguée de celle de la peine : la protection de la société. 
Il est bien sur difficile de les distinguer totalement : tant que le criminel est en prison, le risque qu'il commette de nouveaux crimes est nettement diminué. Il n'en demeure pas moins qu'il est utile de distinguer les deux questions : la justice doit rétribuer l'acte, en fixer le "prix", pour l'auteur, pour la (ou les) victime(s) et pour la société. C'est la fonction première de la peine et, à mon avis, il serait bon qu'elle reste la fonction principale.

Rien n'interdit ensuite de permettre différentes mesures ou décisions, le cas échéant entre les mains du tribunal, pour assurer d'autres finalités : protéger la société, assurer la réinsertion ou la surveillance du condamné, exiger qu'il subisse des soins.... Ainsi, la Norvège met en oeuvre des mesures pour la réinsertion mais peut également maintenir indéfiniment sous les verrous des individus qui apparaîtraient trop dangereux pour être remis en liberté.


Notre communauté judiciaire, d'abord, et le Parlement, ensuite, gagneraient à avoir une véritable réflexion sur le sens de la peine, qui nous fait défaut. Au lieu de cela, nous avons adopté le comportement suivant : le Parlement augmente les peines maximales encourues quand il a le sentiment (sentiment généralement appuyé sur aucune évaluation concrète) que les juges ne sont pas assez sévères. Par ailleurs, au fur et à mesure des législations, on modifie le code pénal et le code de procédure pénale pour ajouter de nouvelles finalités à la peine. 
Les juges, ont, de leur côté, des pratiques judiciaires qui ne font non plus l'objet d'aucune évaluation et qui ont pour objet essentiel d'essayer d'éviter l'incarcération des condamnés.

Je ne connais pas grand chose à la Norvège mais je suppose que ce qui a été rendu possible en Norvège est le résultat, évidemment, d'une certaine richesse, d'abord, plus équitablement répartie, ensuite, ce qui limite la délinquance. Mais il y a aussi, certainement, la capacité à aborder des sujets compliqués sans idéologie, sans parti pris, avec le soucis du dialogue et de l'évaluation et sans faire de la lutte contre la délinquance un sujet politiquement polémique. La France n'a pas atteint ce stade de développement, malheureusement.


mercredi 27 juin 2012

Un parquet européen

Dans Le Monde daté du 27 juin, Mireille Delmas Marty signe un article intitulé "Créons un parquet européen - Il faut lutter contre la fraude". S'appuyant sur l'élan qui se dessine actuellement en faveur d'une plus grande intégration européenne, elle défend l'idée que la lutte contre la fraude à la législation financière européenne justifie la création d'un parquet européen.  Mireille Delmas Marty met en balance la frilosité des États européens à s'engager dans cette voie avec l'engagement qu'ils ont montré en faveur de la cour pénale internationale.

A ce jour, l'encadrement conventionnel permettant la création d'un parquet européen est complexe. 
C'est l'article 86 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui prévoit la faculté de créer un parquet européen. Cette faculté appartient au Conseil, à l'unanimité, après approbation du Parlement européen. 
Il existe une voie alternative, permettant à neuf États d'instituer, entre eux, un parquet européen, par le biais d'une coopération renforcée. 
Ce parquet européen est habilité à rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement (une distinction qui n'a pas vraiment de sens en droit français) les auteurs des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne. La juridiction saisie serait la juridiction nationale : il n'est pas prévu de créer un juge européen pour ces infractions financières. Une observation en passant : en donnant compétence au parquet européen pour "rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement", le traité européen semble consacrer une vision continentale, voire française, du rôle du ministère public, qui a la haute main sur les décisions de poursuite mais aussi sur la conduite de l'enquête. Chez nos voisins anglo-saxons ou allemands, le parquet a un rôle bien moins important, puisqu'ils sont quasiment absent dans la direction de l'enquête.

Il est par ailleurs prévu une "extension à la lutte "contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière" qui supposera, en tout état de cause, l'unanimité.


Il paraît très peu probable, même dans le contexte actuel, de parvenir à réunir l'unanimité des Etats membres de l'UE pour obtenir la création d'un parquet européen. Mais la France s'honorerait à faire partie du groupe des pays pionniers. Ca serait par ailleurs notre intérêt, afin que ce parquet prenne des orientations de travail qui ne soient pas trop éloignées de la conception française du ministère public. Ce serait également un signe adressé à nos voisins allemands que nous sommes prêts à faire un effort vers la rigueur budgétaire et financière et à accepter un contrôle international sur ceux qui, en France, fraudent le droit européen.

Pour autant, on ne peut que regretter l'optique essentiellement financière de ce parquet européen. Un vrai parquet européen aurait naturellement vocation à s'attaquer à la criminalité organisée transfrontalière, au terrorisme, aux infractions à l'environnement... Il est probable par ailleurs que la création d'un parquet européen aux compétences diversifiées conduira, tôt ou tard, à la constitution de juridictions répressives européennes. Ce sera un chemin long et difficile d'harmonisation de nos représentations et de nos conceptions en fait de procédure, de loi pénale, d'appréciation des preuves et de la culpabilité, de politique de la peine... mais ce travail, jusqu'à présent à peine ébauché, doit être conduit. Autant commencer dès maintenant.

mercredi 13 juin 2012

Amnistie ?

En découvrant la une de 20 minutes, ce matin, qui titre "l'amnistie comme solution", j'avoue être estomaqué. Le contrôleur général des lieux privatifs de liberté, Jean-Marie Delarue, propose une loi d'amnistie pour mettre fin à la surpopulation carcérale (67073 détenus pour 57170 places).

Que la surpopulation carcérale soit un problème, c'est indéniable. Que Jean-Marie Delarue soit dans son rôle pour la dénoncer, c'est naturel. 

Mais quand même, proposer l'amnistie pour les peines inférieures à six mois d'emprisonnement quelques jours avant le second tour des élections législatives, ça a un petit parfum d'entourloupe politique. Ca ressemble à la TVA sociale, qui avait flingué la droite au second tour des législatives de 2007. Que la solution soit bonne ou mauvaise, qu'importe : ce que l'électorat va surtout retenir, et je ne doute pas que la droite n'y insiste, c'est : la gauche est revenue aux affaires, au secours, le laxisme revient

On aura beau essayer de dire que le contrôleur général des lieux privatifs de liberté est une Autorité administrative indépendante (AAI) et que par conséquent ses propositions n'engagent pas le gouvernement. On aura beau dire, comme l'a déjà fait Delphine Batho, que le Parlement ne votera pas de loi d'amnistie. On pourrait même argumenter sur le fait que l'amnistie ne signifie pas pour autant le laxisme. Peu importe : le mal est fait. Nous sommes mercredi, il reste trois jours de campagne et cinq jours avant le scrutin. L'électeur moyen lui, va comprendre une chose : le laxisme revient.

Il serait temps que le nouveau gouvernement normal apprenne à maîtriser sa communication. En deux semaines, on commence à accumuler les couacs : 
1) les ministres qui prennent si ostensiblement le métro que ça en devient risible ;
2) les embarras autour de Cécile Duflot et de la consommation de cannabis ;
3) le tweet de Valérie Trierweiller d'hier ;
4) et ce matin, cette proposition. 
C'est à François Hollande et à Jean-Marc Ayrault de resserrer les boulons, d'urgence.



mardi 12 juin 2012

Ok Corral

Depuis leurs maisons de l'île de Ré, les riches de droite, protégés par ce qu'il reste de leur bouclier fiscal, doivent suivre, non sans délectation, le soap opera qui se joue actuellement sur la rive d'en face, à La Rochelle. 
Les épisodes précédents sont bien connus et n'appellent qu'un bref résumé.

Ségolène Royal était à la recherche d'une circonscription où se présenter aux élections législatives, dans le but à peine secret de devenir présidente de l'Assemblée nationale. La 1ère circonscription des Charentes-maritime était disponible : le titulaire, socialiste, ne se représentait pas. Les règles internes au PS veulent que, dans ce cas là, la circonscription échoit à une femme. Ça tombe bien, Ségolène Royale en est une. 

Mais, les édiles locaux ne l'entendent pas de cette oreille. A leur tête, Olivier Falorni, premier fédéral du département, implanté localement de longue date. Il s'était résigné à ce que la députation lui échappe, puisque ça devait être une femme. Mais céder sa place à Ségolène Royal, pas question.

D'où une lutte fratricide et épique. Le PS a logiquement exclu Olivier Falorn et, soutenu Ségolène Royal. Ce qui n'a pas empêché Falorni de se prévaloir du soutien de François Hollande et de parvenir au second tour. La droite éliminée, le second tour opposera Ségolène Royal et Olivier Falorni. 

Dans ce cas de figure, il est habituel, à gauche comme à droite, que le deuxième se désiste. Cela donne une élection étrange, avec un seul candidat à la députation. Mais ça se fait. 
Pourtant,Olivier Falorni résiste. Et comment le lui reprocher ? Il sait bien qu'il aura avec lui une bonne partie des électeurs de droite qui y verront une bonne occasion de saborder le chemin semé de roses qui devait mener Ségolène Royal de La Rochelle au palais Bourbon. 
S'y ajoutent les électeurs de gauche qui ne peuvent pas supporter Ségolène Royal et, au vu du score d'Olivier Falorni au premier tour, il y en a un paquet. Bref, Olivier Falorni a de bonnes chances d'être élu député, de battre Ségolène Royal et de l'empêcher d'accéder à la présidence de l'assemblée nationale. J'imagine volontiers que beaucoup, rue de Solférino, sauront avoir le pardon facile à son égard.

Il y a de mauvaises raisons de s'opposer à la candidature de Ségolène Royal. En particuliers, l'idée qu'elle serait "parachutée". J'y reviendrai certainement dans un autre billet mais rien ne me paraît plus normal que le parachutage. Quand on est député, on est député de la Nation. Pas du village d'à côté. Peu importe qu'on vienne ou pas du village d'à côté. Il serait également malvenu de lui reprocher de candidater si outrageusement pour la présidence de l'assemblée nationale : c'est sain, en politique, d'avoir des ambitions et de les afficher. Accessoirement, Ségolène Royale est élue dans la région depuis 1988. Il y a des parachutages plus brutaux (Jack Lang, par exemple).

Il y a en revanche de bonnes raisons de s'opposer à cette candidature mais ces raisons sont indicibles à gauche, où l'on fait semblant que "seules les idées comptent". Les personnalités comptent aussi. Ségolène Royale passe pour une personnalité autoritaire, peu encline à la contradiction. Elle a une façon de faire de la politique et de se mettre en scène, en insistant sur sa dimension charismatique, qui m'irrite profondément. Et surtout, de sérieuses questions sur sa compétence se posent, des questions qu'on ne peut écarter d'un revers d'une main en s'exclamant : vous ne diriez pas cela si j'étais un homme !
Il est temps qu'on réhabilite une donnée essentielle du débat politique : les élections ne servent pas à choisir des idées, heureusement, mais des méthodes et des personnalités. Celles de Ségolène Royal sont, à tout le moins, fortement controversées, et elle ne fait pas mine de se remettre en question à ce sujet. 


Mais ce débat déjà bien animé et complexe vient d'être à nouveau ravivé par une dimension personnelle. La compagne du président de la République encourage Olivier Falorni. Les mots ont leur importance. Encourager n'est pas soutenir. Il est légitime qu'un homme politique en soutienne un autre dans le cadre d'une élection. Encourager, c'est autre chose. Cela peut relever d'une démarche plus personnelle, fondée sur des liens d'amitiés - ou d'inimitié ?
Bien évidemment, cela ne change pas grand chose : médiatiquement, Valérie Trierweiler, la nouvelle, prend clairement parti contre Ségolène Royal, l'ex. Le président de la République est confronté à des tensions entre son amitié pour Olivier Falorni et sa relation pour le moins complexe avec Ségolène Royal. 
Qu'il se refuse même à trancher signifie clairement que, lui aussi, souhaite la défaite de Ségolène Royal.

Un mot de lui, en effet, aurait suffit à ce qu'Olivier Falorni se retire. Il n'en a rien été. Et c'est normal. Ségolène Royal manque de la plus élémentaire décence politique : ex-compagne de l'actuel Président de la République, la vie politique doit lui être désormais fermée. Elle aurait du le comprendre d'elle-même, elle ne l'a pas compris. Il n'y a pas place pour le cumul des sentiments contradictoires, la confusion des pressions familiales et politiques. Il est regrettable que pour mettre fin à cette confusion, on en instaure une nouvelle, en permettant à Mme Trierweiller d'exprimer une opinion dissidente.


lundi 11 juin 2012

S'allier ou non avec le FN ?

La pression politique est trop forte. Deux tiers des électeurs de droite seraient en faveur de désistement entre le FN et la droite. Pour le moment, les ténors de l'UMP résistent. L'UMP sera probablement sur une ligne "ni-ni" : pas de front républicain contre le FN, pas de désistement en faveur du FN. 

Rien de plus logique à cette position. L'UMP ne peut pas appeler à voter pour des candidats du PS sans avoir à en payer le prix localement lors des prochaines échéances électorales. Au niveau national, appeler à voter en faveur de candidat du FN contre le PS serait également dévastateur.

L'UMP va perdre les élections législatives et le sait. Avec ou sans le FN, l'UMP va perdre. Elle n'a donc aucun intérêt à s'allier électoralement avec le FN : cette alliance ne lui rapporterait que quelques sièges inutiles et le prix moral à payer serait lourd.

Les sympathisants de droite, eux, ne voient pas les choses sous cet angle. Localement, ils voient qu'ils pourraient avoir un député plus proche de leur sensibilité et faire échec à un député de gauche. Ils sont donc en faveur d'un accord électoral. Localement, il y a fort à parier que certains candidats UMP seraient tout à fait demandeurs car ils se préfèrent au Palais Bourbon dans l'opposition que juste dans l'opposition. 

C'est pourquoi je pense que le scénario le plus probable sera qu'il y aura des accords au niveau local, là où les convergences idéologiques sont les plus fortes, c'est-à-dire probablement dans le sud est. Dans cette région, le vote FN et UMP est majoritairement lié à des questions de sécurité et il est sous-tendu par la même approche raciste des problèmes. Il y aura place pour des convergences locales que l'UMP et le FN dénonceront mais qui satisfairont tout le monde. Dans le nord, en revanche, où les questions sociales sont au coeur du vote FN, des accords seront plus difficiles à trouver, alors que l'UMP et le FN sont sur des positions radicalement différentes sur l'Europe et la Mondialisation.

Puis, il y aura forcément un moment où le contexte politique rendra possible des accords plus amples entre le FN et l'UMP. 

Cette convergence est rendue possible par la droitisation du discours de l'UMP depuis 2002, d'un côté, et par la normalisation du discours du FN, de l'autre. Une fois qu'on enlève les oripeaux nazis que Jean-Marie Le Pen aime à exhiber de temps à autre, le FN donne l'illusion d'être bien plus fréquentable.

Reste à savoir si le FN aura intérêt à des tels accords et j'en doute fortement. La popularité électorale du FN est largement liée à un discours "ni droite, ni gauche" et à une opposition tranchée sur l'Europe et la Mondialisation. Le Front national peut aussi déployer un discours "mains propres" d'autant plus facilement qu'il fait tout pour ne pas exercer la moindre responsabilité politique. Ce discours sera plus difficile à tenir, dans la perspective, par exemple, d'un accord de gouvernement.

jeudi 31 mai 2012

Cauchemar en cuisine

Au risque de décevoir mes quelques lecteurs qui avaient pu se laisser abuser par un verbiage pseudo-intellectuel, j'avoue, oui, je le reconnais, je regarde cauchemar en cuisine. J'ai regardé non sans intérêt la version britannique, qui voit le chef cuisinier non moins britannique Gordon Ramsay, chercher à sauver des restaurants de la faillite. Et je regarde également la version française, animé par le chef Philippe Etchebest qui a le double mérite d'être un cuisinier étoilé (deux fois) et d'avoir été un joueur de rugby.

La comparaison de la version française et de la version anglaise de l'émission est tout à fait intéressante. Pour être très honnête, je n'ai regardé que deux épisodes de la version française et les quelques remarques qui vont suivre ne sont fondées que sur ces deux épisodes.
Il y a de nombreux points communs entre les deux émissions. Ce sont plutôt les différentes qui m'ont frappé.

1) dans la version anglaise, la dimension financière revient très fréquemment. Gordon Ramsay explique par exemple comment on gagne de l'argent comme restaurateur : en vendant du vin. Comme d'autres vendent du temps de cerveau disponible, le restaurateur vend de l'alcool et sert quelques petits plats autour qui font bien. C'est peut-être vrai économiquement mais je n'imagine pas qu'un grand cuisinier français se risque à tenir de tels propos. 
Ramsay insiste aussi sur le prix des plats à la carte, les trouvant soit trop cher, soit (souvent) pas assez. 

Dans la version française, l'argent est beaucoup moins présent. On sent bien évidemment que les restaurateurs qui font appel au Chef sont en difficultés financières mais c'est un aspect secondaire. On n'en parle que pudiquement. Ou on ne l'aborde que façon détournée, parce que celui qui a apporté de l'argent est parfois à l'origine des difficultés relationnelles (cf. l'épisode 1 de la saison 2, Le Grilladin).

J'y vois là une différence culturelle non négligeable entre les Français et les Anglais dans leur rapport à l'argent. En France, l'argent reste globalement un sujet qu'on aborde avec discrétion.


2) les relations humaines, inter-personnelles, me paraissent avoir plus d'importance dans la version française. C'est peut-être lié au fait que les deux épisodes que j'ai regardé tournent autour d'une cellule familiale qui a repris un restaurant (un couple, dans l'épisode 1 ; une mère et son fils, dans l'épisode 2). Pour autant, ces relations familiales ne sont pas pathologiques mais l'enjeu de l'intervention d'Etchebest est renforcé : il faut non seulement sauver un restaurant mais aussi sauver un couple, ou une relation mère/fils. Voire, comme dans l'épisode 2, faire grandir un éternel adolescent de 26 ans qui ne sait pas prendre ses responsabilités (parce que, notamment, sa mère ne lui laisse pas cette place).

Cette dimension humaine est déjà fortement présente dans la version anglaise mais elle est limitée à la sphère professionnelle. De fait, l'émission anglaise n'est pas tellement une émission sur la cuisine, mais plutôt une émission sur le management professionnel.
Pour la version française, les producteurs semblent avoir privilégié des restaurants où la dimension professionnelle n'est pas seule en jeu, et il y a une dimension presque psychanalytique dans les ressorts humains en jeu et la façon dont Etchebest intervient.

Plusieurs explications sont possibles. Soit, en Angleterre, il est rare que les restaurants soient tenus par une famille. Soit, les Anglais ont plus de pudeur à exposer leur intimité familiale que nous... ? Soit encore, les Anglais sont plus intéressés par de la télé-réalité sur l'univers professionnel et nous d'avantage par de la télé-réalité sur les relations privées ?


3) il me semble que dans la version anglaise, Gordon Ramsay laisse tout de même plus d'initiative aux restaurateurs. Ce qui m'a frappé dans l'émission française, c'est l'intervention des "experts", qui se livrent à une analyse du restaurant et refont entièrement la décoration. En un sens, on mélange un peu Cauchemars en cuisine et D&Co (j'avoue, ça m'est arrivé de regarder aussi. Oui, j'ai honte.). Sauf erreur de mémoire de ma part, ce n'était pas tant le cas dans la version anglaise : Ramsay disait ce qui n'allait pas dans la déco mais c'était au restaurateur de changer.

C'est juste une vague impression, mais ça me donne le sentiment que Ramsay assistait moins les restaurateurs chez lesquels il intervenait qu'Etchebest. Peut-être là encore est-ce une différence de mentalité :lorsqu'on intervient dans une entreprise, c'est d'avantage dans une logique "interventionniste", presque "étatiste" (nous on sait ce qui est bon pour vous). Évidemment, Etchebest prend le temps de convaincre ses vis à vis de la pertinence de son projet. Mais il ne se contente pas de le conceptualiser, il va loin dans la mise en oeuvre.

Cette dernière remarque serait certainement à nuancer, en regardant d'autres épisodes et en revoyant quelques épisodes anglais.


Il y aurait sans doute d'autres points de comparaisons. Ce qui serait intéressant, c'est de savoir dans quelle mesure les producteurs ont pensé ces différences. Ces différences ont-elles émergées naturellement, du fait de la personnalité des deux chefs ? Sont elles la conséquences de ce que sont les restaurants en France et en Angleterre ? Ou s'agit-il plutôt de différences qui ont été voulues, pensées par les producteurs, dans le but conscient de s'adapter au "marché" français ?

jeudi 24 mai 2012

Giscard, Chirac et Sarkozy

Robert Badinter a dénoncé une exception française de trop, je cite : "La nomination à vie des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel devient une aberration. Le départ de Nicolas Sarkozy de l'Elysée et sa volonté proclamée de siéger au Conseil constitutionnel mettent à nouveau en lumière l'insoutenable paradoxe de la présence à vie des anciens présidents de la République dans cette institution. Rappelons d'abord que, seule de toutes les démocraties occidentales, la République française fait de ses ex-présidents des membres perpétuels d'une juridiction constitutionnelle." (Le Monde du 20 mai 2012). Hier matin, sur France Inter, Thomas Legrand en rajoutait une louche.

Je me permet pourtant quelques respectueuses objections. 

Dire que le Conseil Constitutionnel est une juridiction est déjà hautement contestable. Il ne tranche pas de litige, ne peut être saisi directement par des justiciables mais exclusivement dans des cas très spécifiques. Une seule exception : lorsqu'il statue comme juge électoral, lorsque sa qualité de juridiction peut difficilement être contestée. Le Conseil constitutionnel n'est pas composé de magistrats. Aucun texte ne lui reconnaît la qualité de juridiction. Il rend des décisions, non des jugements ou des arrêts (certes, le conseil d’État aussi).

Si exception il y a, ce n'est pas tant que les anciens présidents de la République soient membres de droit du Conseil constitutionnel. L'exception française, c'est la nomination de TOUS les membres du Conseil. Trois d'entre eux sont nommés sur proposition du président de la République, trois sur proposition du président du Sénat, trois sur proposition du président de l'assemblée nationale. Depuis la dernière réforme constitutionnelle, une commission parlementaire peut à certaines conditions s'opposer à leur nomination.
C'est un mode de nomination tout à fait particuliers. Aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, ... les juridictions suprêmes sont nommées selon le processus habituel de nomination des magistrats. En effet, là bas, il s'agit de juridictions à part entière.
S'il faut réformer la composition du conseil constitutionnel, c'est donc celle de l'intégralité des membres qu'il faut revoir, pas juste la question des anciens présidents de la République.

Ceux-ci, au vu du mode de nomination des membres ordinaires, paraissent ni plus ni moins légitimes que les autres. Ce sont des gens d'expérience, qui ont une bonne connaissance des mécanismes de l'Etat, du fonctionnement parlementaire,... Ils ont une légitimité incontestable : ils ont été élus comme Président de la République. Ca vaut bien un contrôle par une commission parlementaire. Après tout, la règle existe depuis 1958 et les Français doivent désormais savoir que lorsqu'ils élisent un président de la République, ils lui donnent un mandat de 5 ans à l'Elysée et un mandat à vie rue Montpensier. C'est un choix.

Thomas Legrand relevait hier matin le manque d'impartialité, les anciens présidents de la République ayant pu se prononcer sur tel ou tel projet de Loi. L'argument là encore ne concerne pas que les anciens présidents de la République. Si certains membres actuels ont été choisis pour leurs compétences juridiques (comme par exemple l'ancien vice-président du conseil d'Etat ou l'ancien premier Président de la cour de Cassation), d'autres ont clairement une couleur politique, bien connue du public. Par exemple, Michel Charasse ou Simone Veil, dont l'orientation politique n'est un mystère pour personne.

Que Robert Badinter, qui fut président du conseil constitutionnel, mais qui était avant un ministre de gauche vienne dénoncer un mode de nomination aberrant alors que lui même a bénéficié du fait du prince pas moins aberrant me paraît peu glorieux.

Soit on propose une vraie réforme de la composition du Conseil constitutionnel (par exemple en décidant une composition avec 3 magistrats de l'ordre judiciaire, 3 magistrats de l'ordre administratif et 3 personnalités politiques nommées par les trois autorités actuelles). Soit on se tait.

(avec une petite nuance toutefois, sur le cumul des rôles : on ne devrait pas pouvoir être avocat et membre du conseil constitutionnel, au vu notamment de l'importance actuelle des QPC. C'est là où il me semble que Nicolas Sarkozy doit faire un choix).